lundi 2 juillet 2012

I shall feed the ravens

« i shall feed the ravens »

   Penchée, en toute beauté, au bord du gouffre. Une robe de vestiges, rappel de parfums, rappel de caresses, une robe de déchirures qui pourtant sera tout ce qui restera quand la tablée se conclura.
   Et que les corbeaux, rassasiés, repartiront, n'abandonnant que ce fin tissu de douleur.

jeudi 14 juin 2012

Du fond du cœur

   Je suis descendu dans la montagne, j’y ai voyagé galeries et entrailles et à force de brailler dans les tunnels pour ne pas me sentir seul, j’ai fini par tomber dans le cœur du géant. Littéralement dedans.
   C’est donc une grotte. Toute de saillies et d’aspérités, absolument certainement pas uniforme, avec des lambeaux de spectres qui s’y sont arraché les draps. Terrible. Des cadavres quelque part, des genre d’oiseaux informes et dépecés par quoi ? par qui ? Et puis il y avait une fille dans la grotte… Toute nue, mais repliée sur elle-même, de sorte qu’on ne voyait rien. Elle avait des tripes d’oiseaux dans les cheveux, notamment ceux qui s’étaient éclatés au mur, ça lui dégoulinait sur les joues et dans les yeux. Est-ce qu’à travers son regard vide elle voyait le ciel ? Elle avait la colonne vertébrale tordue, comme si elle avait véritablement un tronc à la place, comme si ses os avaient poussé indépendamment des capacités de la chair… des branches, oui, des branches fleuries de sang – marques rouges étoilées sur sa peau d’albâtre.

dimanche 18 mars 2012

La tristesse des ogres

   C'est un pont comme beaucoup d'autres ponts, joliment décrépi et envahi de plantes grimpantes, mais sous ce pont dorment les ogres et sous ce pont les ogres pleurent. Peut-être ces larmes sont-elles celles des enfants endormis dans leur ventre. Parce qu'avez-vous déjà vu pleurer un ogre ? Ce sont des larmes petites, toutes petites, à peine aussi salées qu'un sanglot de poisson. La langue immense et bleuâtre de l'ogre vient attraper ces petites perles, et les avale, les rend aux enfants. Est-ce peut-être le baiser des ogres, la caresse des larmes. L'amour des ogres est une chose mystérieuse. On se dit parfois que ce sont les enfants qui s'aiment, et les enfants ne s'aiment jamais vraiment. Ou bien savent-ils cet art mieux que nous. On ne sait pas grand-chose des enfants, ni des ogres.

samedi 18 février 2012

En religion

   Je vous hais je vous hais vous les rois et les reines d'un monde déjà fait
   Créez l'impossible étourdissez le ciel bousculez les étoiles chantez chantez à vous briser la voix comme une main cassée qui ne cesse d'écrire chantez chantez pour réveiller les dieux somnolents envahissez les temples de votre chant mettez bas portes et murailles rentrez forcez votre propre cœur Dieu est dans ton cœur disaient-ils Dieu
   Mais où est Dieu maintenant hors de ma tête
   Où est Dieu maintenant dans les livres brûlés
   Où est-il l'impossible trop répété
   dans
            les
                   églises
   Cherche-le le plus loin possible

mercredi 15 février 2012

Et taisez-vous que j'entende battre mon cœur

   La ville. La ville, l'hydre aux gueules de cheminées, le monstre qui vomit de la fumée par tous ses pores, la ville hurle. Avec un crissement de métal rouillé qu'on offre aux dents de la scie. Un hurlement sourd, un métissage de mots de haine et de cris d'amour, un chant industriel où vibrent nos cordes vocales si téméraires d'être encore humaines. La ville est un organe de fer, un assemblage de chairs tailladées cousues entre elles avec de la soie d'araignée, arrachée aux dieux mortels qui hantent les vieux romans. Un sifflement module la forme d'une gare, une horloge immense surplombe les toits, les tours tutoient Babel et on attend ce coup de pied qui ne vient pas.

Courrier de Londres

   Mon cher ami,
   Je cherche, en ces temps troublés de défection immobilière dans nos contrées, un logement qui serait à même d'abriter ma désagréable petite personne ; aussi ai-je pensé à vous. Vous me manquez grandement depuis notre dernière entrevue, si lointaine déjà !... Et dans l'évidente certitude que ce sentiment ne peut qu'être réciproque, je ne doute pas que vous trouviez où m'accueillir au creux de votre logis ; vous me savez peu encombrant, et je n'ai fait que me rabougrir depuis tout ce temps. Je suis aujourd'hui, de par les tristes aléas du sort, une petite créature rachitique que le plus honnête de nos concitoyens accuserait les yeux fermés de délit de faciès, si par aventure il l'apercevait de dos et dans la brume – ce terrible smog de nos ruelles malsaines, que vous savez, n'est-ce pas, si dense.

Le cimetière des marionnettes

   Les racines noueuses des arbres morts s'enfoncent loin sous la surface de la scène. Comme un triste sourire, elles viennent frôler le bois pourri des innombrables tombes dispersées en sous-sol.
   L'effroi te prend si tu pénètres dans ce sanctuaire souterrain. Car aucun de ces cercueils défoncés par les gravats et le temps n'a la taille d'accueillir un corps adulte.
   Laisse-t-on dormir ici une armée d'enfants, sans aucune boîte à musique pour leur tenir compagnie ?

La mort du marionnettiste

   Les pantins le regardent s'affairer. « Maître... » murmurent les horloges au mur, « maître... » bruissent les instruments, les marteaux, les pinces, les clous, attirail de vie au service d'un mort. « Maître... »
   « Nous vous regardons en souriant car nous ne savons que sourire. Nous jouons tous les soirs devant un parterre de fantômes pour voir vos yeux briller encore. Nous vous aimons comme aiment les mécaniques de bois, nous, vos Pinocchios désabusés, vos Frankensteins morts-nés, vos monstres bien-aimés, et la petite princesse encore voudrait vous voir pleurer. Une fois, une seule ! Pleurez, maître, pleurez ! Pleurez pour nous les inhumains sans larmes. »

L'atelier fantôme

   Les mécanismes semblent s'assembler seuls, maniés par la machine vivante qui leur tient lieu de maître. Il est vieux et fatigué, en vérité, il est mort ; du moins il pourrait ; parcheminé, ridé, effacé des esprits et des idées, le marionnettiste, oui, est aussi fantomatique que son atelier, carcasse vide dont la charpente pourrit, et où la toile des araignées tisse des veines filandreuses. Seul le cœur, peut-être, y bat encore, car le fantôme vit – peu – mais il vit, il vit, de la sève figée dans les artères des pantins, des yeux immobiles qui ignorent la science des larmes, des cœurs à la mécanique délicate qui cherchent désespérément à atteindre un rythme humain. Et le marionnettiste, si inhumain par son existence illogique, dans son atelier fantôme de fait orfèvre d'humanités mécaniques.

Le vieux théâtre

   Un petit théâtre à la façade décrépie se dressait au bout de l'impasse, de travers sur ses fondations à demi effondrées. Il n'était ni beau ni laid, ce théâtre ; il avait ce charme propre aux vieilles choses devenues inutiles mais que l'on garde quand même, avec sa grande porte aux dorures écaillées, sa fresque murale dont les couleurs autrefois chatoyantes s'éteignaient doucement avec l'âge, son petit portail en fer forgé et ses fenêtres aux carreaux brisés. Sur les murs, tenant encore par on ne sait quel prodige, quelques lambeaux d'affiches claquaient dans le vent, vantant à mots troués des spectacles dont plus personne ne se souvenait. Du petit jardin où l'on avait coutume de faire patienter la foule, il ne restait guère que des touffes d'herbe jaunie, des pavés brisés et disjoints, et une planche pourrie.

La petite princesse de bois

   Silence dans la petite salle.
   Silence ?
   Là-bas le rideau bouge. Un peu. Doucement. Pas beaucoup.
   A peine de quoi laisser apparaître une petite main de bois aux doigts articulés, phalanges reliées par des rivets, trésor d'orfèvrerie. Les ongles sont peints avec une infinie délicatesse, les doigts sont fins et légers, gracieux.
   Mais le spectateur n'a pas le temps de remarquer ces détails. Parce que la main disparaît – et parce que de spectateurs il n'existe que des fantômes.
   Derrière le rideau c'est une toute autre affaire cependant.
   Les marionnettes s'agitent. Pantins de bois, poupées de chiffon ; automates de métal qui s'agitent dans tous les coins. Ici la chaise n'est pas au bon endroit. Bougez. Il faut une Bible pour le prêtre ; on n'a pas de vraie Bible qui traîne, prenez le livre là-bas, ça fera l'affaire, il est assez gros. Des bijoux pour la princesse. Les petits bijoux de verre, ceux qui brillent comme des vrais. Où est la princesse d'ailleurs ?
   On l'a encore perdue...

vendredi 27 janvier 2012

Quotidien

« Dans une prose d'une vingtaine de lignes, vous célèbrerez un objet du quotidien de votre choix. »


   Il est un objet que l'on trouve partout et qui n'est jamais le même.
   Il a cette propriété d'être ou ne pas être selon votre bon vouloir ; multiforme, il se fond silencieusement dans ce qui vous environne et les autres objets à votre gré prennent sa place. Il sera la table de l'élève épuisé et le corps de l'être aimé, le sol du vagabond et l'escalier du mendiant si ce n'est le contraire. Il est voluptueux, ou plat ; il est, ou n'est pas ; on le trouve partout, et n'importe où.
   Il est le compagnon de vos songes, Morphée fait objet, parti sur la pointe des pieds des rives de l'Oubli vous prendre dans ses bras. Peluche débaptisée des enfants devenus grands, il est le témoin de l'amour et en garde le parfum ; il est ce sourd confident des larmes de l'aube et des soupirs au crépuscule ; il est la voix muette qui murmure des mots doux à votre oreille somnolente lorsque le soleil s'est enfin noyé sur l'horizon. Il est l'ersatz au service des amoureux solitaires que leurs bras peuvent serrer à n'en plus finir, étouffeur étouffé des grands drames du silence. Il est l'arme de jeu et de bataille, obus soyeux que les éclats de rire éventrent dans une pluie de plumes.
   Enfin, il est celui que vous répugnez à quitter le matin venu ; la porte des rêves se referme, et l'oreiller redevient le cadavre de votre sommeil enfui.

« The spiderman is having me for dinner tonight. »

   Je progresse dans un monde invisible ; ils m’attrapent, brusquement, je ne sais pas d’où ils sortent ; et qui sont-ils ? Ils ressemblent à des vers – des filins – de légers fils d’araignée qui s’enroulent autour de mes bras, mes jambes, ma bouche, ils me bâillonnent, c’est la fin ; je ne peux plus parler ; ma tension augmente avidement, mon cœur bat et bat encore, où est-il ? Ils m’enserrent, attaquent mes yeux maintenant, je ne vois plus, que ce brouillard visqueux et opaque qui se dépose sur mes paupières, je ne te vois plus, je te perds, et je suis déjà flou dans tes yeux ! Qui suis-je ? La question ne se pose plus au creux de la toile ; je ne suis plus de toute façon ; je ne suis plus rien ; plus personne ; une personne peut-être ; à peine. Non. Le chant de l’araignée s’élève, c’est une mélopée sifflée, soufflée du passé. Elle tire sa toile, en rythme, viens, mon joli, viens, susurre-t-elle, ce soir tu seras mon dîner…

Une histoire d'amour Dernière cigarette

Une histoire d'amour Dernière cigarette
Et c'est une chanson secrète
Qui fait au bord du ciel hésiter l'échafaud

Louis Aragon
« Cantique à Elsa : Les belles »


   Une lueur flamboyante en plein jour, minuscule et presque éteinte, tombait au ralenti devant la foule silencieuse. Les effluves âcres flottaient encore dans l’air mais on n’avait d’yeux que pour la cigarette qui, avec une douceur incomparable, venait s’échouer au pied de l’échafaud. Elle brillait, se consumait encore follement, désespérément, sans cesse ravivée par le mouvement d’air qui encadrait sa chute, quelques sursauts de vie comme un cœur qui rate ses derniers battements – la lueur orangée clignotait presque, plus évidente encore dans l’ombre de la foule hypnotisée. Il en restait à peine, ce n’était même plus que des débris incandescents liés dans une invraisemblable unité de matière. C’était tellement irréel que le bourreau même avait suspendu son geste, attendant, dans une crainte quasi religieuse, que la cigarette se soit éteinte pour actionner son levier – comme un signal de Dieu. Les braises se délitèrent en plein vol. Une à une, elles s’éteignaient en touchant le sol. Il n’en resta finalement qu’une, encore portée par l’air remué par les présences alentours, qui finalement se posa avec une infinie douceur entre les minuscules aspérités du béton, lutta une seconde pour briller encore, encore et toujours, puis s’éteignit.

samedi 21 janvier 2012

La chambre dissimulée

   « Voici la nécropole et voici la colline. » La forteresse de Barbe-Bleue s'y dresse. Initiales BB, comme un antique et sanglant sex-symbol maculé de meurtres, et son sourire torve de Jack l’Éventreur qui aurait échangé les putes contre des princesses. Il a les yeux brillants et globuleux, pourris de fièvre. Le cœur de Barbe-Bleue bat sourdement en ces murs – mais vous ne le voyez pas ; il est tout autour de vous. La vue est surréaliste et c'est esthétique ces crochets de boucher où dansent sans grâce aucune les cadavres de femmes aimées. Filtre bleu sur le projecteur ; c'est une chambre froide, et il fait noir ici. Ni portes ni fenêtres dans le congélateur de l'amant meurtrier. Elles se balancent doucement dans leurs robes étincelantes d'une housse de givre qui fait luire leur peau blafarde dans l'obscurité, enchaînées par d'innombrables dentelles prisonnières des stalactites.

Conte

Do not be jealous of your sister.
Know that diamonds and roses
are as uncomfortable when they tumble from
one's lips as toads and frogs ;
colder, too, and sharper, and they cut.
Neil Gaiman
 « Instructions »


   L'une crache des diamants l'autre des crapauds.
   L'une crache des roses l'autre des serpents.
   La première s'écorche la bouche. Lentement, patiemment, les épines des roses et l'arête coupante des diamants tracent dans sa bouche le sourire de l'ange. La chair se fendille, s'ouvre, vomissant une cascade brillante et odorante. Et les roses deviennent rouges et les diamants deviennent rubis.
   Pendant ce temps, l'autre valse avec un prince charmant échappé d'un baiser sur la bouche du crapaud, et les serpents se font un festin de pommes en s'hypnotisant tendrement les uns les autres.

Loup y es-tu ?

Il était une fois...

   Maman, ma petite maman, où es-tu maintenant ?

Il était deux fois...

mercredi 11 janvier 2012

Le repas d'automne

   Un chat marche sans bruit sur les feuilles mortes, patte de velours et boule de poil, il guette les écureuils qui bondissent entre les branches armés de leurs mitraillettes à noisettes. Il bondit soudain au pied d’un arbre et fauche adroitement un mulot qui s’en allait donner l’alerte. Je ne suis pas là, personne ne sait que je suis là.
   Il brise net la jugulaire du petit animal et envoie bouler le cadavre entre les racines. Personne ne sait que je suis là. Son poil est de la couleur du sol, et tapi dans les feuilles, il est indécelable. Ses yeux seuls tranchent comme deux billes de ciel égarées dans la nouvelle saison. Il les a braqués sur les branches au-dessus de lui, guettant la moindre vibration.
   Vif comme l’éclair, il escalade le tronc et envoie une gifle magistrale à l’écureuil qui, comme surpris d’avoir été pris, le regarde en tombant. Toutes ses munitions dégringolent à sa suite et viennent s’éparpiller dans les feuilles tandis que son arme s’en va valser un peu plus loin. Satisfait, le chat bondit et se laisse atterrir en silence dans les feuilles mortes. Ce doux tapis a sauvé la vie du petit animal qui s’en allait déguerpir, mais son chasseur l’a vu et in extremis l’assomme d’un coup de patte. Puis il le grignote avec une lenteur gourmande et délibérée. C’est son repas préféré.
   Dédaignant les noisettes échouées, il repart la queue bien droite, fier de sa prise, ramenant la tête de sa victime en guise de trophée.

vendredi 6 janvier 2012

Ce que l'on fait derrière les murs

Tous voyaient chacun en train de faire ce que l'on fait derrière les murs. Personne n'avait plus nulle part où se cacher.
Neil Gaiman
 « Frontières »


Les gens
peignent. Sur le mur. Ils déstructurent le tracé du ciment entre les briques.
Le ciment est encore un autre mur. Qu'est-ce qu'un mur ?
Est-il solide ? Est-il invisible ? Est-il dans ma tête ? ou dans la vôtre ? Est-il autour de nous ? ou en nous ? en moi ? en vous ?
Les gens
font des choses
secrètes
derrière le mur. Parce qu'on ne peut pas les voir.
Derrière le mur
ils sont invisibles.

jeudi 5 janvier 2012

Playing Bird'n'Roll

   Il est en équilibre juste au bord du cratère, là où, en avançant d’un petit demi-millimètre à peine, il tomberait dans l’océan brûlant et bouillonnant qui s’ouvre sous ses pieds. Il marche comme ça sur cette fine muraille de pierre, parois de papier d’un extraordinaire berceau qui contient ce nourrisson clapotant, informe et flasque, et dangereux et mortel. Il en fait le tour sans trop se presser, les bras bien tendus, sur la pointe des pieds, funambule de tous les possibles. En bas, la créature rougeoyante vient lécher le mur à proximité de ses semelles et ça lui fait comme une drôle de sensation de chaleur qui naît de ses pieds, se propage dans ses jambes dans une trajectoire toute à fait exactement parallèle, s’embrasse juste là où on fait l’amour, enflamme son ventre, investit ses poumons, s’empare de son cœur, se dépêche dans ses bras et se rue dans sa tête pour venir finalement, bouquet final, électriser ses cheveux qui dansent follement autour de son visage. Il se sent tout-puissant, et pour cause. Il domine de son regard – mais ses yeux sont fermés – le liquide embrasé qui jaillit des entrailles de la Terre. Qu’est-ce qu’il se sent fort, à jouer l’équilibriste au bord d’un volcan !
   C’est presque comme s’il était le maître du monde.

   Finalement, un peu fatigué d’être le maître du monde – ça en fait des gens à administrer, et l’administration, il n’aime pas vraiment ça au fond – un peu fatigué donc, il s’assoit sur le rebord. Il contemple avec excitation ses pieds qui pendent dans le vide, à une distance délicieusement minuscule de l’écume de lave qui jaillit lorsque les vagues bouillantes viennent se fracasser contre les parois. Une ou deux fois, son imprudence lui arrache un sursaut qui manque de le précipiter d’un côté ou de l’autre du volcan, mais il se rattrape. Il se rattrape toujours.
   Il regarde le paysage. Au-delà de son volcan – il a décidé que ce serait le sien, en attendant le monde – ce n’est qu’une étendue de terre désolée et grise, où les hoquets du sol ont tracé crevasses et cratères. De loin en loin, une présence rougeoyante se manifeste dans l’un ou l’autre des trous. Il se dit que ce serait passionnant d’aller funambuler sur ces murailles-là, celles-là qu’il ne connaît pas.
   Il se prend à s’imaginer dessus. En train de marcher. Eviter les entailles pour ne pas se tordre la cheville et tomber (ça a déjà failli lui arriver ; et il craint fort que la prochaine soit sa dernière cabriole). De temps en temps, regarder en bas pour se recharger un peu en adrénaline. Très important, l’adrénaline. C’est un mot qu’il a toujours eu du mal à écrire mais sûrement qu’il est tellement incrusté dans son corps qu’il est difficile de l’en extirper (c’est une justification comme une autre, disait la maîtresse). Parfois, se mettre sur un pied juste pour voir comment ça fait. Encore plus d’équilibre ! Un jour, il sera tellement en équilibre qu’il s’envolera. Ça, il en est convaincu. Vraiment convaincu. Les oiseaux ne sont qu’un équilibre transformé en être vivant par la magie de… l’équilibre.
   Il n’a pas tellement théorisé sa pensée, mais il attend de pied ferme qu’elle se concrétise d’elle-même.
   Puisque ça arrivera !