samedi 18 février 2012

En religion

   Je vous hais je vous hais vous les rois et les reines d'un monde déjà fait
   Créez l'impossible étourdissez le ciel bousculez les étoiles chantez chantez à vous briser la voix comme une main cassée qui ne cesse d'écrire chantez chantez pour réveiller les dieux somnolents envahissez les temples de votre chant mettez bas portes et murailles rentrez forcez votre propre cœur Dieu est dans ton cœur disaient-ils Dieu
   Mais où est Dieu maintenant hors de ma tête
   Où est Dieu maintenant dans les livres brûlés
   Où est-il l'impossible trop répété
   dans
            les
                   églises
   Cherche-le le plus loin possible

mercredi 15 février 2012

Et taisez-vous que j'entende battre mon cœur

   La ville. La ville, l'hydre aux gueules de cheminées, le monstre qui vomit de la fumée par tous ses pores, la ville hurle. Avec un crissement de métal rouillé qu'on offre aux dents de la scie. Un hurlement sourd, un métissage de mots de haine et de cris d'amour, un chant industriel où vibrent nos cordes vocales si téméraires d'être encore humaines. La ville est un organe de fer, un assemblage de chairs tailladées cousues entre elles avec de la soie d'araignée, arrachée aux dieux mortels qui hantent les vieux romans. Un sifflement module la forme d'une gare, une horloge immense surplombe les toits, les tours tutoient Babel et on attend ce coup de pied qui ne vient pas.

Courrier de Londres

   Mon cher ami,
   Je cherche, en ces temps troublés de défection immobilière dans nos contrées, un logement qui serait à même d'abriter ma désagréable petite personne ; aussi ai-je pensé à vous. Vous me manquez grandement depuis notre dernière entrevue, si lointaine déjà !... Et dans l'évidente certitude que ce sentiment ne peut qu'être réciproque, je ne doute pas que vous trouviez où m'accueillir au creux de votre logis ; vous me savez peu encombrant, et je n'ai fait que me rabougrir depuis tout ce temps. Je suis aujourd'hui, de par les tristes aléas du sort, une petite créature rachitique que le plus honnête de nos concitoyens accuserait les yeux fermés de délit de faciès, si par aventure il l'apercevait de dos et dans la brume – ce terrible smog de nos ruelles malsaines, que vous savez, n'est-ce pas, si dense.

Le cimetière des marionnettes

   Les racines noueuses des arbres morts s'enfoncent loin sous la surface de la scène. Comme un triste sourire, elles viennent frôler le bois pourri des innombrables tombes dispersées en sous-sol.
   L'effroi te prend si tu pénètres dans ce sanctuaire souterrain. Car aucun de ces cercueils défoncés par les gravats et le temps n'a la taille d'accueillir un corps adulte.
   Laisse-t-on dormir ici une armée d'enfants, sans aucune boîte à musique pour leur tenir compagnie ?

La mort du marionnettiste

   Les pantins le regardent s'affairer. « Maître... » murmurent les horloges au mur, « maître... » bruissent les instruments, les marteaux, les pinces, les clous, attirail de vie au service d'un mort. « Maître... »
   « Nous vous regardons en souriant car nous ne savons que sourire. Nous jouons tous les soirs devant un parterre de fantômes pour voir vos yeux briller encore. Nous vous aimons comme aiment les mécaniques de bois, nous, vos Pinocchios désabusés, vos Frankensteins morts-nés, vos monstres bien-aimés, et la petite princesse encore voudrait vous voir pleurer. Une fois, une seule ! Pleurez, maître, pleurez ! Pleurez pour nous les inhumains sans larmes. »

L'atelier fantôme

   Les mécanismes semblent s'assembler seuls, maniés par la machine vivante qui leur tient lieu de maître. Il est vieux et fatigué, en vérité, il est mort ; du moins il pourrait ; parcheminé, ridé, effacé des esprits et des idées, le marionnettiste, oui, est aussi fantomatique que son atelier, carcasse vide dont la charpente pourrit, et où la toile des araignées tisse des veines filandreuses. Seul le cœur, peut-être, y bat encore, car le fantôme vit – peu – mais il vit, il vit, de la sève figée dans les artères des pantins, des yeux immobiles qui ignorent la science des larmes, des cœurs à la mécanique délicate qui cherchent désespérément à atteindre un rythme humain. Et le marionnettiste, si inhumain par son existence illogique, dans son atelier fantôme de fait orfèvre d'humanités mécaniques.

Le vieux théâtre

   Un petit théâtre à la façade décrépie se dressait au bout de l'impasse, de travers sur ses fondations à demi effondrées. Il n'était ni beau ni laid, ce théâtre ; il avait ce charme propre aux vieilles choses devenues inutiles mais que l'on garde quand même, avec sa grande porte aux dorures écaillées, sa fresque murale dont les couleurs autrefois chatoyantes s'éteignaient doucement avec l'âge, son petit portail en fer forgé et ses fenêtres aux carreaux brisés. Sur les murs, tenant encore par on ne sait quel prodige, quelques lambeaux d'affiches claquaient dans le vent, vantant à mots troués des spectacles dont plus personne ne se souvenait. Du petit jardin où l'on avait coutume de faire patienter la foule, il ne restait guère que des touffes d'herbe jaunie, des pavés brisés et disjoints, et une planche pourrie.

La petite princesse de bois

   Silence dans la petite salle.
   Silence ?
   Là-bas le rideau bouge. Un peu. Doucement. Pas beaucoup.
   A peine de quoi laisser apparaître une petite main de bois aux doigts articulés, phalanges reliées par des rivets, trésor d'orfèvrerie. Les ongles sont peints avec une infinie délicatesse, les doigts sont fins et légers, gracieux.
   Mais le spectateur n'a pas le temps de remarquer ces détails. Parce que la main disparaît – et parce que de spectateurs il n'existe que des fantômes.
   Derrière le rideau c'est une toute autre affaire cependant.
   Les marionnettes s'agitent. Pantins de bois, poupées de chiffon ; automates de métal qui s'agitent dans tous les coins. Ici la chaise n'est pas au bon endroit. Bougez. Il faut une Bible pour le prêtre ; on n'a pas de vraie Bible qui traîne, prenez le livre là-bas, ça fera l'affaire, il est assez gros. Des bijoux pour la princesse. Les petits bijoux de verre, ceux qui brillent comme des vrais. Où est la princesse d'ailleurs ?
   On l'a encore perdue...