mercredi 15 février 2012

Et taisez-vous que j'entende battre mon cœur

   La ville. La ville, l'hydre aux gueules de cheminées, le monstre qui vomit de la fumée par tous ses pores, la ville hurle. Avec un crissement de métal rouillé qu'on offre aux dents de la scie. Un hurlement sourd, un métissage de mots de haine et de cris d'amour, un chant industriel où vibrent nos cordes vocales si téméraires d'être encore humaines. La ville est un organe de fer, un assemblage de chairs tailladées cousues entre elles avec de la soie d'araignée, arrachée aux dieux mortels qui hantent les vieux romans. Un sifflement module la forme d'une gare, une horloge immense surplombe les toits, les tours tutoient Babel et on attend ce coup de pied qui ne vient pas.
   La patience se chante dans nos regards ouverts la patience s'oublie dans nos muselières la patience se lie dans nos mains de fer la patience se lit dans le fond d'un verre, elle chante elle chante la ville avec sa gorge monstrueuse son cœur atomique et ses tripes antiques dans le creux des ruelles, elle chante elle chante dans l'histoire à ciel ouvert à l'oreille de notre inconscient fasciné. Un voyage en teintes de gris cette ville où tout se redécouvre, un voyage fou dans les entrailles de ces dinosaures endormis sur le paysage. Tu descends dans la mine avec ta petite nacelle d'osier pour voir le feu qui ravage nos veines danser dans les catacombes. Tu ne peux plus en détacher ton regard. C'est une folie. Ta rétine fond, ton visage dégouline, tes lèvres s'amollissent, tu es ma petite poupée de cire maintenant. Il y a de ces spectacles qui ne sont pas faits pour les humains. Cachés, enterrés, mystifiés, enrobés, enchaînés, oubliés. Il ne te suffit plus que d'un coup d'ailes pour t'échapper.

   Silence.

   C'est étrange, tout s'est tu. Celle qui ne s'éteint jamais a posé la main sur son cœur pour en étouffer les battements. La vie est en veilleuse. Le monde reprend son souffle.
   Patience.
   Le ciel se déploie timidement. Les nuages partent tête basse, les uns après les autres. Le gris dégage. Elles arrivent bientôt, au gré des hoquets de la lune. Elles n'osent encore prendre l'initiative, c'est trop tôt, trop tôt... Ils voudraient les inviter à danser, elles qui sont si loin ; mais nous avons tout le temps du monde : l'horloge est partie qui voulait sonner minuit... L'orchestre a déserté, le contrebassiste préfère t'aimer et il n'y a pas d'autre musique dans vos yeux que ce ciel où chantent les oiseaux et les étoiles.



Ce ciel où chantent les oiseaux et les étoiles, et taisez-vous que j'entende battre mon cœur.
Louis Aragon

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