mercredi 15 février 2012

La petite princesse de bois

   Silence dans la petite salle.
   Silence ?
   Là-bas le rideau bouge. Un peu. Doucement. Pas beaucoup.
   A peine de quoi laisser apparaître une petite main de bois aux doigts articulés, phalanges reliées par des rivets, trésor d'orfèvrerie. Les ongles sont peints avec une infinie délicatesse, les doigts sont fins et légers, gracieux.
   Mais le spectateur n'a pas le temps de remarquer ces détails. Parce que la main disparaît – et parce que de spectateurs il n'existe que des fantômes.
   Derrière le rideau c'est une toute autre affaire cependant.
   Les marionnettes s'agitent. Pantins de bois, poupées de chiffon ; automates de métal qui s'agitent dans tous les coins. Ici la chaise n'est pas au bon endroit. Bougez. Il faut une Bible pour le prêtre ; on n'a pas de vraie Bible qui traîne, prenez le livre là-bas, ça fera l'affaire, il est assez gros. Des bijoux pour la princesse. Les petits bijoux de verre, ceux qui brillent comme des vrais. Où est la princesse d'ailleurs ?
   On l'a encore perdue...
   La princesse du théâtre n'est pas une vraie princesse. C'est une poupée en bois avec un petit cœur mécanique dont les aiguilles marquent le tambour du temps entre ses côtes. Elle est très belle cependant ; c'est pour ça qu'on lui a donné ce rôle d'ailleurs. Elle a été fabriquée avec beaucoup de minutie, de patience et d'amour. D'amour surtout. Car elle est la seule à avoir un cœur, un vrai, enfin, un presque vrai.
   La princesse du théâtre n'est pas une vraie princesse, mais elle aime bien faire semblant que si. Bien sûr, tous les soirs, elle rentre dans son rôle ; elle le transcende même. Mais c'est au quotidien qu'elle voudrait être une princesse. Alors elle a pris l'habitude, la nuit, de s'éclipser pour aller s'asseoir sur la lucarne du grenier et regarder la lune.
   Elle regarde la lune même lorsqu'il n'y a pas de lune. Ou lorsqu'il y a des nuages. Qu'il pleut. Qu'il neige.
   La petite princesse de bois aime beaucoup la neige. Mais elle ne ressent pas le froid. Et même la douleur de ne pas être vivante est impuissante à lui arracher des larmes.
   Parce que c'est une petite princesse de bois.

   Les marionnettes hésitent, puis on se dit que tant pis, on ira la chercher après. Elle s'enferme dans ses illusions, tant pis pour elle ! Il n'y a que l'horloger qui voudrait aller la chercher. L'horloger, c'est un petit automate créé spécialement pour la princesse du théâtre, pour lui remonter le cœur tous les matins. Il s'y est attaché mais pas elle...
   On lui dit d'aller chercher la couronne pour le roi. Le roi, le père de la princesse enfin, le faux père ; le vrai père de la princesse, comme celui de toutes les marionnettes, c'est le vieux marionnettiste, le poète, le conteur, l'horloger à ses heures quand il faut arranger le temps pour les autres. Pour lui le temps a toujours été cabossé, c'est pour ça qu'il est si vieux d'ailleurs. Si vieux qu'il dit bonjour à la mort en allant faire ses courses le matin.
   Il est la seule personne que la princesse aime vraiment. Les marionnettes, elle ne s'en occupe que peu ; le petit horloger mécanique, elle ne l'a pas remarqué. Quant aux autres – les vivants – elle les hait avec autant de haine qu'on lui a insufflé d'amour dans le cœur. Elle les hait d'avoir un cœur de chair et de sang, elle les hait de rire et de pleurer, elle les hait de... de quoi ? De savoir toutes ces jolies choses qu'elle ignore, elle les hait aussi pour ce sourire figé qu'on lui a peint sur le visage. La princesse sourit tous les jours et toutes les nuits.

   Le petit horloger aide les autres, la mort dans l'âme. La mort ? L'âme ? Il ne sait pas ce que c'est. Enfin si. La mort, il converse avec elle parfois, parce que les affaires de temps intéressent cette respectable dame – après tout, le temps, c'est son mari. Elle lui a expliqué ce que c'était que l'âme. Mais en fait, il n'a pas compris. Il aurait bien voulu en parler avec la petite princesse de bois – elle passe tant de temps à observer les humains ! Elle doit s'y connaître un peu. Mais il se serait fait grincer dessus. Alors bon...
   Il pense au vieux marionnettiste. A l'heure qu'il est il doit travailler dans son atelier. Dormir... un mot lentement passé au large de son vocabulaire. Le vieux marionnettiste de plus en plus ressemble à ses marionnettes. Déjà son sourire s'est figé... mais cela depuis longtemps. Quant aux larmes, oh ! il n'en a plus. Parties, envolées nourrir la mer et les rivières.
   C'est pour ça que la petite princesse l'aime autant. Parce qu'il devient aussi inhumain qu'elle.

2 commentaires: