samedi 21 janvier 2012

La chambre dissimulée

   « Voici la nécropole et voici la colline. » La forteresse de Barbe-Bleue s'y dresse. Initiales BB, comme un antique et sanglant sex-symbol maculé de meurtres, et son sourire torve de Jack l’Éventreur qui aurait échangé les putes contre des princesses. Il a les yeux brillants et globuleux, pourris de fièvre. Le cœur de Barbe-Bleue bat sourdement en ces murs – mais vous ne le voyez pas ; il est tout autour de vous. La vue est surréaliste et c'est esthétique ces crochets de boucher où dansent sans grâce aucune les cadavres de femmes aimées. Filtre bleu sur le projecteur ; c'est une chambre froide, et il fait noir ici. Ni portes ni fenêtres dans le congélateur de l'amant meurtrier. Elles se balancent doucement dans leurs robes étincelantes d'une housse de givre qui fait luire leur peau blafarde dans l'obscurité, enchaînées par d'innombrables dentelles prisonnières des stalactites.
   Elle est ainsi cette nécropole sur la colline. Barbe-Bleue tuera autant de femmes qu'il a de fantômes dans le cœur mais chaque nouvelle pièce de viande fait naître un crasseux petit ectoplasme qui vient souffler dans le cœur du prince et s'agripper et se coller se serrer éclabousser de rancœur ce monstre ventriculaire qui dégorge des draps ensanglantés maculés de plomb. Alors le maître s'enferme dans ce cercle vicieux d'amour et de mort. La viande s'entasse dans la chambre froide de Barbe-Bleue – il conviera au festin tous les grands méchants loups qui hurlent autour de son domaine la nuit venue, et s'il lui reste un peu de bon sens, il s'instituera plat principal.

   « Hormis les fantômes, rien ne vit ici bien longtemps. »

   Et si le prince plantait des fleurs ?
   Immenses et oranges et rouges pour aspirer chaque fantôme comme un petit dessert gluant.

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