mercredi 15 février 2012

Le vieux théâtre

   Un petit théâtre à la façade décrépie se dressait au bout de l'impasse, de travers sur ses fondations à demi effondrées. Il n'était ni beau ni laid, ce théâtre ; il avait ce charme propre aux vieilles choses devenues inutiles mais que l'on garde quand même, avec sa grande porte aux dorures écaillées, sa fresque murale dont les couleurs autrefois chatoyantes s'éteignaient doucement avec l'âge, son petit portail en fer forgé et ses fenêtres aux carreaux brisés. Sur les murs, tenant encore par on ne sait quel prodige, quelques lambeaux d'affiches claquaient dans le vent, vantant à mots troués des spectacles dont plus personne ne se souvenait. Du petit jardin où l'on avait coutume de faire patienter la foule, il ne restait guère que des touffes d'herbe jaunie, des pavés brisés et disjoints, et une planche pourrie.
   Mais un bâtiment, même vieux, même abandonné, reste un abri valable pour qui se fiche des convenances ; le marionnettiste avait enterré les convenances depuis bien longtemps. Depuis si longtemps même que la logique aurait voulu qu'il soit enterré lui aussi, mais la logique dormait au côté des convenances, si loin sous les profondeurs du cœur du vieil homme qu'elle n'en entendait même plus les battements ratés.
   L'impasse du théâtre avait été une jolie petite ruelle éclairée par des lampions de couleur les soirs de représentation. Aujourd'hui, c'était un étroit sentier envahi de ronces, serré dans l'étau des murs, et bien rare était celui qui osait s'y risquer. Beaucoup avaient même oublié qu'au bout on y trouvait quelque chose – peu s'étaient jamais demandé pourquoi on avait baptisé ainsi l'impasse. Les gens ne prenaient pas le temps d'y réfléchir, car c'était normal. On ne discute pas la normalité.
   Comme une malédiction, le quartier avait suivi le théâtre dans sa descente. Il y avait eu ici de grandes maisons, de beaux portails, de larges jardins ; des rues pavées où résonnaient le sabot des chevaux et les roues des calèches, le petit pas distingué des dames de la haute société et les rires sages des enfants de bonne naissance. Mais le temps, de son pinceau patiné, avait peint la mort sur ces maisons et ces jardins. Les cadavres des chevaux pourrissaient dans des lieux obscurs, ceux des dames dans le cimetières, et les enfants avaient fui depuis longtemps dans les hautes sphères du monde adulte où l'on ne riait plus.

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