jeudi 5 janvier 2012

Playing Bird'n'Roll

   Il est en équilibre juste au bord du cratère, là où, en avançant d’un petit demi-millimètre à peine, il tomberait dans l’océan brûlant et bouillonnant qui s’ouvre sous ses pieds. Il marche comme ça sur cette fine muraille de pierre, parois de papier d’un extraordinaire berceau qui contient ce nourrisson clapotant, informe et flasque, et dangereux et mortel. Il en fait le tour sans trop se presser, les bras bien tendus, sur la pointe des pieds, funambule de tous les possibles. En bas, la créature rougeoyante vient lécher le mur à proximité de ses semelles et ça lui fait comme une drôle de sensation de chaleur qui naît de ses pieds, se propage dans ses jambes dans une trajectoire toute à fait exactement parallèle, s’embrasse juste là où on fait l’amour, enflamme son ventre, investit ses poumons, s’empare de son cœur, se dépêche dans ses bras et se rue dans sa tête pour venir finalement, bouquet final, électriser ses cheveux qui dansent follement autour de son visage. Il se sent tout-puissant, et pour cause. Il domine de son regard – mais ses yeux sont fermés – le liquide embrasé qui jaillit des entrailles de la Terre. Qu’est-ce qu’il se sent fort, à jouer l’équilibriste au bord d’un volcan !
   C’est presque comme s’il était le maître du monde.

   Finalement, un peu fatigué d’être le maître du monde – ça en fait des gens à administrer, et l’administration, il n’aime pas vraiment ça au fond – un peu fatigué donc, il s’assoit sur le rebord. Il contemple avec excitation ses pieds qui pendent dans le vide, à une distance délicieusement minuscule de l’écume de lave qui jaillit lorsque les vagues bouillantes viennent se fracasser contre les parois. Une ou deux fois, son imprudence lui arrache un sursaut qui manque de le précipiter d’un côté ou de l’autre du volcan, mais il se rattrape. Il se rattrape toujours.
   Il regarde le paysage. Au-delà de son volcan – il a décidé que ce serait le sien, en attendant le monde – ce n’est qu’une étendue de terre désolée et grise, où les hoquets du sol ont tracé crevasses et cratères. De loin en loin, une présence rougeoyante se manifeste dans l’un ou l’autre des trous. Il se dit que ce serait passionnant d’aller funambuler sur ces murailles-là, celles-là qu’il ne connaît pas.
   Il se prend à s’imaginer dessus. En train de marcher. Eviter les entailles pour ne pas se tordre la cheville et tomber (ça a déjà failli lui arriver ; et il craint fort que la prochaine soit sa dernière cabriole). De temps en temps, regarder en bas pour se recharger un peu en adrénaline. Très important, l’adrénaline. C’est un mot qu’il a toujours eu du mal à écrire mais sûrement qu’il est tellement incrusté dans son corps qu’il est difficile de l’en extirper (c’est une justification comme une autre, disait la maîtresse). Parfois, se mettre sur un pied juste pour voir comment ça fait. Encore plus d’équilibre ! Un jour, il sera tellement en équilibre qu’il s’envolera. Ça, il en est convaincu. Vraiment convaincu. Les oiseaux ne sont qu’un équilibre transformé en être vivant par la magie de… l’équilibre.
   Il n’a pas tellement théorisé sa pensée, mais il attend de pied ferme qu’elle se concrétise d’elle-même.
   Puisque ça arrivera !

1 commentaire:

  1. J'aime ! J'adore ta façon d'écrire, je trouve ça beaucoup plus mature que la mienne (peut-être parce que certains auteur qui aime verser dans l'humour quand ils écrivent m'influencent... ). C'est le genre de texte que tu lis, qui te prend aux tripes et que tu ressors de ta lecture, t'as qu'un mot à dire : "Wouaw!". J'aime les textes profonds comme ça, dans lesquels tu sens la puissance des mots. Et le fait que ce soit court le rend d'autant plus puissant !

    Un autre, un autre, un autre !

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