mercredi 15 février 2012

La mort du marionnettiste

   Les pantins le regardent s'affairer. « Maître... » murmurent les horloges au mur, « maître... » bruissent les instruments, les marteaux, les pinces, les clous, attirail de vie au service d'un mort. « Maître... »
   « Nous vous regardons en souriant car nous ne savons que sourire. Nous jouons tous les soirs devant un parterre de fantômes pour voir vos yeux briller encore. Nous vous aimons comme aiment les mécaniques de bois, nous, vos Pinocchios désabusés, vos Frankensteins morts-nés, vos monstres bien-aimés, et la petite princesse encore voudrait vous voir pleurer. Une fois, une seule ! Pleurez, maître, pleurez ! Pleurez pour nous les inhumains sans larmes. »
   L'absurde assemblée des marionnettes se presse devant devant lui.
   « La vie, la vie... vos pleurs, maîtres... pleurez pour nous... »
   Et la petite princesse s'avance.
   « Par pitié... »
   Mais il ne sait pas pleurer.

   « Et le sang, maître... pleureriez-vous du sang, si l'on... ? » Ils n'osent terminer la phrase. L'idée est si tentante à vrai dire. « Et le sang, maître... » Et tous les instruments sont là...
   Alors c'est la petite princesse qui y va, parce que c'est la petite princesse qui l'aime, parce que c'est la petite princesse qu'il aime. Son joyau, son trésor, son œuvre.

   « Ça y est, il pleure. »


   La représentation est terminée. Ce soir, même les fantômes ont déserté la salle. Les fauteuils éventrés sont vides de sens, le rideau se lève et se baisse comme un souffle agonisant, on ne sait plus de quoi l'on parle, on ne sait plus ce que l'on joue.
   « Je vous aime, maître. » Près du cadavre aux yeux crevés, la petite princesse psalmodie. « Je vous aime beaucoup. »
   Car les marionnettes ne connaissent ni le passé, ni le futur ; elles sont intemporelles, éternelles ; figées dans le présent, elles y vivent en aveugles, comme des monuments délaissés. Aussi la petite princesse ignore que l'homme qu'elle couvre de ses frêles mains de bois a aujourd'hui rejoint les inhumains imparfaits qu'il façonnait et à qui jamais il n'apprit la mort, se croyant éternel.

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