mercredi 15 février 2012

Courrier de Londres

   Mon cher ami,
   Je cherche, en ces temps troublés de défection immobilière dans nos contrées, un logement qui serait à même d'abriter ma désagréable petite personne ; aussi ai-je pensé à vous. Vous me manquez grandement depuis notre dernière entrevue, si lointaine déjà !... Et dans l'évidente certitude que ce sentiment ne peut qu'être réciproque, je ne doute pas que vous trouviez où m'accueillir au creux de votre logis ; vous me savez peu encombrant, et je n'ai fait que me rabougrir depuis tout ce temps. Je suis aujourd'hui, de par les tristes aléas du sort, une petite créature rachitique que le plus honnête de nos concitoyens accuserait les yeux fermés de délit de faciès, si par aventure il l'apercevait de dos et dans la brume – ce terrible smog de nos ruelles malsaines, que vous savez, n'est-ce pas, si dense.
   Je porte toujours les vêtements que vous m'aviez abandonnés il y a de cela un temps si lointain. Je vous laisse imaginer leur état actuel... mais je n'ose douter, mon ami, que vous ne l'aviez pas prémédité, tant votre bonté est grande pour ma misérable personne. Il faut bien avouer que le jour où vous me les passâtes, ils se trouvaient déjà dans un état pour le moins fort affligeant. En revanche, je tiens à vous signaler que j'ai malencontreusement égaré les pauvres sandales que vous m'aviez généreusement offertes ; par la grâce de votre miséricorde, vous chausserez sans doute volontiers le pauvre vieil ami de votre personne que je suis.
   Serait-il alors possible que je me trompe en affirmant, la plume tremblante, qu'à ce stade de ma lettre, vous pleurez déjà de ce miracle qui se matérialisera bien prochainement au sein même de votre... notre demeure ? Je suis certain que vous ai terriblement manqué. Pour ma part, ces quelques années dans les quartiers insalubres de notre bonne ville n'ont pas effacé votre radieux souvenir de mon esprit, et je vous imagine déjà les bras ouverts pour me serrer contre votre cœur essoufflé – où j'espère retrouver très bientôt ma place, si par aventure je l'avais quittée. Vous êtes mon ami le plus précieux ; serait-ce dû au fait que vous soyez le seul ? La réponse, il est vrai, importe peu, puisque vous vous trouvez évidemment dans l'exacte même situation que la mienne. Les plus scélérats de nos assassins m'ont refusé l'entrée dans leurs rangs – ce qui est un moindre mal car de ce fait, les forces de police prennent à ce jour d'agréables vacances tandis que les restes de ces gentlemen pourrissent allègrement dans l'estomac des rats... mais je m'égare, vous n'ignorez rien bien sûr de ce que je vous raconte, vous me connaissez trop bien pour cela.
   Ainsi, je vais de ce pas déposer cette lettre sur votre perron, et j'attendrai patiemment votre retour, qui ne saurait tarder. J'espère grandement que vous aurez l'amabilité de me laisser récupérer mes anciens appartements, auquel cas je n'aurais heureusement pas à m'y introduire aussi subrepticement que lors de notre première rencontre – vous vous rappelez sans aucun doute des considérables dégâts que cela avait causé, et il est dans notre intérêt commun de ne pas les reproduire. Je ne doute pas que la place soit encore vide. Car vous n'avez jamais aimé que moi, n'est-ce pas ?
   Dans l'espoir de vous revoir bientôt, votre dévoué et fidèle,

Hyde.

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