dimanche 28 avril 2013

Des armes

Des armes, des armes
Et des poètes de service à la gâchette

Léo Ferré / Noir Désir
« Des armes »


   Les tireurs embusqués ne faisaient aucun bruit.
   Blottis dans le silence, ils regardaient tomber une neige de papiers brûlés.

   Dehors, des formes s'agitaient. Des formes saccadées comme des pantins qui faisaient des choses étranges comme se percuter à répétition, se croiser sans se regarder, cogner des mains qu'ils étaient incapables de serrer. Des mains de bois, des yeux de verre, des sourires peints.
   Ils se levèrent, visèrent, ajustèrent et les formes soudain, tombaient. Tombaient cœur perforé, percutées par les mots qui jaillissaient des tireurs. Ceux-ci avaient la bouche grande ouverte. Et ils mitraillaient.
   Et les pantins s'écroulaient les uns après les autres, et étrangement, ce visage qu'ils avaient porté si longtemps se fendillait soudain. Des craquelures naissaient au coin des lèvres, rampaient jusqu'à faire de cette peau – encore humaine, toujours humaine – jusqu'à faire de cette peau humaine une véritable route accidentée, un terrain d'apocalypse. Quelques râles s'extirpaient de ces fissures comme de faibles volutes de fumée.

   Et les tireurs, s'approchant, venaient y boire. Avides de ceux qu'ils avaient tués, et ils gonflaient comme des outres, ils se boursouflaient de partout, la fumée s'insinuait sous leur peau, infiltrait leurs nerfs, et glaçait leurs veines, et ils en reprenaient encore.
   Encore.
   Ils repartirent d'un pas lourd et sans une parole, les joues pleines de mots volés aux morts, tous ces mots qui n'avaient jamais été dits.

   Aurait-on ouvert leur bouche qu'on y aurait trouvé un canon en lieu de langue, si bien cousu que les fils s'étaient depuis longtemps rétractés dans la chair.
   Et au fond tout au fond de leur gorge à blanc, où l'air n'était que souffles et silence, la gâchette – la toute petite gâchette qui cliquetait au rythme des cœurs battants.

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