vendredi 29 mars 2013

Pâques 88

   Le capitaine faucha adroitement une fée. Il savait exactement comment infléchir son crochet ; il y avait ce fin espace juste entre la pointe et le manche, là où le métal se recourbait, qu’il fallait ajuster pour les saisir tout juste au niveau de la taille. Il nota mentalement qu’il ne l’avait même pas éraflée et il s’admira de sa propre adresse.
   Prise par surprise, la petite créature n’eut pas le temps de s’échapper avant qu’il ne l’empoigne de sa main valide. Terrorisée, elle poussait, tirait, griffait mais il ne sentait rien que de légères et, quelque part, excitantes piqûres. Les yeux immenses de la fée étaient pleins de peur.
   Il sentit son sexe frémir dans son costume serré de capitaine.
   Il aimait tant ces créatures.
   D’un coup de dents, il croqua la tête ravissante et, alors que le corps tressautait encore, il l’enfourna tout entier dans sa bouche, jouissant du contact infime des ailes affolées sur son palais.
   Il aimait tant ses créatures.

   La nouvelle se répandit sur le navire que le capitaine avait décidé de faire honneur à la fête de Pâques. On rigola un peu d’abord, parce que qu’est-ce que les cloches venaient faire sur un vaisseau pirate ? Puis, lorsqu’on retrouva les boyaux du mousse derrière une porte, on cessa de rire et on s’intéressa au jeu que proposait le capitaine.
   En deux jours, on avait rassemblé assez de bouteilles vides pour que chaque fée y trouve son compte, et on dissémina les petites prisons de verre de la pointe du nid-de-pie jusqu’aux tréfonds de la cale. Un petit malin, de toute évidence un apprenti du maître d’équipage, alla même jusqu’à ficeler solidement l’une des bouteilles au sommet du mât, là où flottait le drapeau noir des pirates.
   Personne ne fut surpris à ouvrir son œuf avant l’heure.
   Ce n’était pas l’envie qui manquait pourtant. Les fées avaient toujours été la propriété exclusive du capitaine ; chacun avait mille fois dressé dans sa tête la liste de ce qu’il aurait pu en faire, si seulement on lui en avait accordé une. C’était un rêve, un fantasme, une folie, un objet de désir et de curiosité qui, inaccessible, attisait toutes les convoitises.
   Et voilà qu’on les leur offrait en bonne et due forme. Il y en avait une par personne, c’était promis.
   Une fée vivante et entière pour chacun des membres de l’équipage.

   « La chasse est ouverte. »
   Et les fées eurent beau se débattre, pas une n’en réchappa.
   Chacune atterrit entre les mains d’un homme avide. On se fit un festin de paillettes.
   Et longtemps, les rires et les tintements résonnèrent au large de l’Île Imaginaire.

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