dimanche 10 février 2013

C

   C'est comme une femme dans ma chambre.
   C'est comme une femme et ce n'est encore qu'un fantasme.

   Elle est une présence immense, créature immobile et neutre, que je ne sais pas encore animer. Charnelle, quelque part, son sang fait de vent qui attend de battre – et une peau de bois froide.
   Elle n'est pas organique encore. Elle ne s'est pas animée encore.
   Elle attend.

   Elle est sortie du moule de mes rêves hésitants, de mes inspirations passagères. Elle est là et elle n'existe pas tout à fait. Elle est là et elle n'est pas exactement mienne ; elle ne bouge pas. Ne bruisse pas. Ne chante pas.
   Pas encore réanimée. Pas encore sortie de sa léthargie poussiéreuse, sculpture de bois et de métal.
   Sculpture et pas encore instrument. Objet et pas encore musique.
   (Je te rendrai musique, ô créature, ô instrument.)

   C'est comme un monstre à la tête recourbée, long cou et épaules tombantes, manchot et cul-de-jatte, le bassin pointu et la taille creusée, ventre évidé, un regard encore absent qui me surplombe. Elle est inerte et grosse dans mes bras. Et moi gauche, et moi maladroite, moi rigide comme une amante effrayée.
   Elle n'est pas souple encore. Pas vivante encore...
   En phase de création. Sur la table de Frankenstein – et moi avec. Éviscérée, mise à nu aux côtés de ce monstre sculptural, espérant son souffle, espérant son geste.

   Comme un monstre, je vais l'apprivoiser doucement. Apprendre à la tenir, apprendre à la sentir, apprendre à la prendre, apprendre ses caresses et ses mutismes, ses colères et ses regards, ses hanches et sa taille, sa voix et son chant. Comme un monstre, je la tiendrai dans mes bras et comme un monstre, comme un monstre un jour je la ferai chanter.
   Comme un monstre, je la ferai pleurer...

   Ce n'est pas exactement elle. Ce n'est pas exactement moi. C'est un ersatz, c'est un reflet en attendant que j'aie acquis les secrets de son corps et de son cœur et de son âme, en attendant que je puisse la rencontrer.
   C'est un reflet et c'est un reflet imposant. Elle ne parle pas. Elle ne dit rien. Elle se contente de me regarder.


   Et de chose, je te ferai monstre... et de monstre, je te ferai musique.

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